Les Etats-Unis ne retrouveront pas un rôle de leader

Entretien dans le journal La Croix le 26 janvier 2018, propos recueillis par Jean-Christophe Ploquin

Entretien avec Thierry de Montbrial, président de l’Institut français des relations internationales (1). Ce spécialiste des questions internationales décrit l’apparition de nouvelles formes de gouvernance et appelle à « choyer l’Union européenne ».

La COP21 a rassemblé, fin 2015 à Paris, 150 chefs d’État et de gouvernement et des milliers de délégués venus du monde de l’entreprise, des grandes ONG, de l’univers scientifique. Elle s’est conclue par un accord sur le climat. Symbolise-t-elle l’apparition d’une nouvelle forme de gouvernance mondiale ?

Thierry de Montbrial : Cette expérience restera comme un point de départ, encore timide, de la gestion de ces problèmes globaux qui vont dominer de plus en plus la planète. La COP21 a-t-elle abouti à des résultats concrets ? À mon avis, non. D’une part parce qu’on est face à un droit de type nouveau, que certains appellent le soft law, le « droit mou », où les décisions sont plus incitatives qu’obligatoires et dont l’interprétation est extrêmement délicate. D’autre part parce que l’identification précise des intérêts de chacun est assez difficile, ce qu’illustre la question du financement.

En fait, la COP21 introduit non pas une nouvelle méthode de négociations mais plutôt une méthode de gestion de la participation, où il s’agit de réunir tous ceux qui ont un intérêt dans un problème. Dans un tel cadre, il faut des modes de concertation et de coopération plus transversaux que dans le système traditionnel.

Organiser l’échange sur un sujet aussi complexe que le climat est très utile car cela participe au développement de la conscience commune. Cela encourage ensuite les acteurs à agir d’eux-mêmes. Les vraies décisions sont prises ailleurs.

Une organisation comme l’ONU est-elle dépassée ?

Thierry de Montbrial : L’ONU a énormément de faiblesses mais reste indispensable. Les systèmes institutionnels hérités du XXe siècle permettent de traiter en commun bien des problèmes, dans le domaine de la guerre et de la paix, de l’économie et du développement. À condition que les États veuillent bien jouer le jeu. Je compare souvent les institutions internationales à des roseaux. Pas seulement parce que le roseau est flexible, mais surtout parce qu’il fixe le sol, dans les sables. Mais bien sûr, rien n’est définitif. Si l’érosion est trop forte, tout est balayé y compris les roseaux, y compris les institutions.

Les États-Unis ne sont-ils pas en train d’éroder le système ?

Thierry de Montbrial : Ils ont été un pays « ­leader » dans l’ordre de la sécurité et dans l’ordre économique, surtout après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, ils ne manifestent plus cette volonté. Donald Trump affirme quasiment tous les jours une conception étroite et fragmentée des intérêts des États-Unis. Barack Obama, déjà, avait pris de la distance avec ce statut. Que se passera-t-il après Trump ? Je ne crois pas qu’ils retrouveront ce rôle de leader en faveur de l’expansion de la démocratie libérale occidentale.

De plus en plus incohérent, l’Occident mène une campagne toujours plus idéologique contre les États considérés comme illibéraux, lesquels le regardent plutôt avec mépris. Tout ça peut déraper.

Jusqu’où ?

Thierry de Montbrial : J’observe quand même une certaine prudence. Nous sommes dans une situation inverse de celle qui prévalait en 1914, où il y avait une inconscience totale des risques d’emballement, une juxtaposition des nationalismes, des combinaisons secrètes d’alliance… Dans la péninsule coréenne, aujourd’hui, on est loin des rodomontades de Donald Trump. C’est pour ça que je ne suis pas entièrement pessimiste, même s’il faut rester vigilant.

Et s’il faut un peu d’optimisme, j’en viens à l’Europe. Je crois qu’elle peut et qu’elle doit jouer un rôle très important dans un XXIe siècle où dominera la rivalité entre les États-Unis et la Chine. L’Union européenne est une construction originale, davantage par la voie qu’elle suit que par son but. La paix du monde dans les décennies qui viennent dépend en grande partie de son développement. Car elle a une capacité de rayonnement économique et culturel sans affirmation de puissance au sens le plus classique du terme. Donc il faut choyer cette Union européenne, la réformer, la renforcer. Et alors, elle pourra exercer un leadership dans la gouvernance mondiale.

Recueilli par Jean-Christophe Ploquin

(1) Il vient de publier chez Albin Michel Vivre le temps des troubles, 15 €.

Voir l’interview sur le site de La Croix